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Offensive du Hamas : une victoire à la Pyrrhus

Contribution d'invité de Jacques Lancier, 10 octobre 2023

 

Tragédie de jeunes assassinés, innocents, inconscients de danser à 6kms d’une prison affamée de 2,3 millions de personnes ! Il est tentant pour les palestiniens, la « rue » arabe, les amis du peuple palestinien de jubiler ostensiblement ou discrètement en voyant que pour une fois la panique change de bord.

D’autant que l’horreur des assassinats terroristes du Hamas ne peut masquer le déferlement révoltant d’hypocrisie de l’appareil politique et médiatique français, la plupart du temps muet sur les assassinats terroristes israéliens souvent perpétrés par les forces officielles  de l’état. Il semble que seuls des israéliens aient le droit de critiquer le pouvoir israélien ! Certaines de leurs déclarations si elles étaient signées LFI ou NPA feraient bondir ces médias, François Hollande et la « gauche de gouvernement », celle qui veut gouverner à tout prix ! Au moins étant israéliens ils ne sont pas traités d’antisémites !

La « victoire »  du Hamas, à la fois son caractère terroriste, assassinat à l’aveugle, et son caractère kamikaze mène cependant à l’impasse comme l’histoire du terrorisme en témoigne, y compris celle des organisations palestiniennes.

Guerre, politique, idéologie

Les 9,3 millions d’israéliens, même si la création de cet état a été artificielle (encore une erreur entre autres de Staline !) est aujourd’hui un fait. Les 15 millions de palestiniens (3,5 en Cisjordanie, 2,3 à Gaza, 1,7 en Israël, plus de 7,5 millions de réfugiés essentiellement dans les pays arabes, dont 2,5 millions en Jordanie, 500 000 au Liban, encore des centaines de mille en Syrie etc.) aussi. A terme il faudra donc que ces gens trouvent un accord pour vivre en paix. Tout conflit militaire se termine sinon par un accord tout au moins par une situation politique. Si le politique l’emporte au final sur le militaire, l’idéologie l’emporte sur le politique. Tant que le peuple palestinien sera représenté par une organisation telle que le Hamas qui partage avec son adversaire, le pouvoir israélien, la même idéologie obscurantiste religieuse (même si ces religions sont concurrentes), le nationalisme et le capitalisme, le conflit n’aura pas de solution et les « victoires » seront illusoires. On sait qu’une « victoire » comme celle-ci engendrera une haine symétrique ou pire : « Nous combattons des animaux et nous les traiterons comme tel. Plus d’électricité, plus de nourriture, plus d’eau, plus de gaz, » a déclaré le ministre israélien de la défense Yoav Gallant lundi 9 octobre lors de l’annonce du « siège complet » de Gaza. Outre que c’est un crime contre l’humanité d’annoncer d’affamer 2,3 millions de personnes, qu’attendre  d’un ministre qui semble aussi avoir pour habitude d’affamer les animaux ? Mais surtout on doit constater que des Frères musulmans à Daech, du FIS algérien à Al-Qaïda, toutes les organisations islamistes ont mené les gens en lutte à l’échec et aux désastres. Lorsque cette idéologie est au pouvoir comme en Iran, Afghanistan  ou Arabie Saoudite c’est pire.

Les peuples, y compris le peuple palestinien, devraient au lieu de suivre des stratégies perdantes, s’appuyer plutôt sur l’expérience de ceux qui ont mené leurs peuples à la victoire comme Mao Zedong et Zhu Deh en Chine ou Ho Chi Minh et Giap[1] au Vietnam. Leur enseignement principal pour être victorieux, et ils l’ont prouvé, c’est la guerre du peuple.

La guerre du peuple

La guerre du peuple c’est certes être « comme un poisson dans l’eau » et il est possible que le Hamas le soit à Gaza,  mais c’est aussi être dans son « bon droit ». Ce que Mao Zedong traduit en terme militaire par « se battre à l’intérieur des lignes ». La lutte est difficile, il faut rallier toutes les forces qui peuvent l’être, obtenir le soutien le plus large en rendant évident pour tous d’être dans « son bon droit », en convainquant, y compris des forces proches de l’adversaire de nous rallier et en divisant le reste.

Être dans son bon droit ne signifie pas uniquement l’être de façon générale comme d’être opprimé depuis 75 ans, d’être comme Gaza, sous blocus depuis 15 ans, d’avoir de ce fait un PIB par habitant   de 6700 $ pour la Cisjordanie-Gaza contre 50 000$ pour Israël, d’avoir des millions de réfugiés car expulsés par la Nakba dans des camps depuis des dizaines d’années, d’avoir eu 5600 palestiniens tués entre 2008 et 2020 contre 250 pour Israël, d’avoir eu 200 palestiniens tués depuis le début de cette année avant l’attaque du 7 Octobre, de subir 10 fois plus de victimes que son adversaire (y compris avec le dernier décompte) etc…  Bien sur cette situation est la cause du conflit mais cela ne suffit pas. C’est le lot des opprimés, des peuples comme des classes, d’avoir à justifier d’être dans son bon droit à chaque étape de la lutte. C’est aussi  une question d’efficacité pour rallier le maximum de forces.

Bien que la lutte du peuple palestinien soit tout à fait juste, l’offensive du Hamas n’aura pas séparé le peuple israélien de sa direction, elle n’aura pas divisé son adversaire, le pouvoir israélien, qui au contraire aura à cette occasion surmonté ses désaccords. Elle n’aura pas rallié l’appui des peuples à l’international. Elle aura fait subir aux deux peuples des désastres humains considérables. La cause en est l’idéologie même du Hamas, l’obscurantisme religieux, l’oppression des femmes, le refus de la recherche de solidarité avec le peuple israélien que prouve les assassinats à l’aveugle, l’approbation du capitalisme. Cette idéologie que le Hamas partage avec ses ennemis et qui mènent aux drames d’aujourd’hui dessine en creux l’alternative : l’unité des travailleurs, la solidarité entre eux quelques soient les nationalités et les religions, l’internationalisme que porte le mouvement communiste. Cette orientation nouvelle aurait des conséquences sur la façon de mener les actions militaires mais aussi surtout pour dégager des solutions au conflit, pour l’unité des deux peuples, pour le soutien international à la lutte du peuple palestinien.

Et nous ?

Une autre leçon se dégage pour nous en Occident: Suivre l’exemple israélien de citadelle riche assiégée, soit disant protégée par des murs et des armées invincibles, est un leurre. Notre intérêt est de prendre en compte les intérêts des pays du Sud . Nous ne danserons pas impunément à côté des milliers de noyés qui ont cherché à gagner les cotes de l’Europe. Là aussi la perspective réaliste est clairement : « prolétaires de tous les pays unissez-vous ! », la devise communiste.     

[1] Respectivement les dirigeants politiques et militaires des révolutions chinoises et vietnamiennes.

 

(publié sur Mediapart)

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