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La culture de débat prolétarienne chez Friedrich Engels Exemple : l’ouvrage Anti-Dühring

Par Abdesselam Adib, 24-01-2021

 

« ... j'ai été contraint de ... suivre M. Dühring partout et d'opposer à ses conceptions les miennes. C'est ainsi que la critique négative est devenue positive; la polémique s'est transformée en un exposé plus ou moins cohérent de la méthode dialectique et de la conception communiste du monde que nous représentions, Marx et moi.... » -

Friedrich Engels, « Anti-Dühring », Préface II, 23 Septembre 1885 p. 38

 

 

Friedrich Engels a écrit son livre Anti-Dühring dans les années 1876-1878, période de développement relativement rapide et pacifique du capitalisme. En outre, un tournant fondamental a été observé dans l'histoire de la production capitaliste jusque-là. L'étape de la transition du capitalisme pré-monopole au capitalisme monopoliste, phase qui s'est achevée du milieu du XIXe au début du XXe siècles.

La Commune de Paris (1871) fut l'un des plus grands événements de l'histoire du monde, car elle marqua le début d'une nouvelle phase de la lutte de libération du prolétariat et l'expérience de cette première tentative révolutionnaire pratique d'établir la dictature du prolétariat montra que la réalisation de la révolution prolétarienne n'est pas possible sans un parti prolétarien de masse basé sur les principes du communisme scientifique.

La Commune de Paris a suscité une horreur terrible au sein de la classe capitaliste, parce que c'était la première révolution qui a soulevé la possibilité d'une domination prolétarienne. Cette émergence du mouvement ouvrier et la crainte d’une domination du socialisme scientifique marxiste parmi les travailleurs a suscité des attaques sévères contre le marxisme de la part de ses adversaires idéologiques, au service de la classe capitaliste.

Après la chute de la Commune de Paris, le centre de gravité du mouvement révolutionnaire mondial européen s'est déplacé en Allemagne, et le premier parti prolétarien de masse est apparu, et à cette époque, les opinions du penseur petit-bourgeois allemand Eugene Dühring sont devenues les plus dangereux courants idéologiques Antimarxistes en Allemagne. Eugen Dühring a dirigé ses attaques contre les éléments constitutifs du marxisme: la philosophie et l'économie. La théorie politique et scientifique du socialisme, la prolifération du dühringisme, surtout lorsque le parti n'avait pas été pleinement absorbé dans les principes du socialisme scientifique, et lorsque la classe ouvrière n'avait pas encore disposé de l'influence des diverses formes d'utopie pré-marxiste le socialisme, constituait un réel danger. Il fallait défendre, développer et simplifier les enseignements de Marx, et Engels croyait à l'époque qu'il était de son devoir de défendre les principes du marxisme et de les propager dans les rangs du jeune parti. Par conséquent, nous trouvons Engels tout au long des années 1876-1878 en train de terminer son livre "Anti-Dühring", où il a présenté son critique.

Engels a écrit dans l'introduction à l'édition Anglaise du 20 Avril 1892 de "Socialisme utopique et socialisme scientifique" en disant: « Néanmoins, l'universalité systématique de mon adversaire me procurait l'occasion de développer en opposition à lui, et pour la première fois dans leur enchaînement, les opinions que nous avions, Marx et moi, sur cette grande variété de sujets ». (Friedrich Engels, Socialisme utopique et socialisme scientifique, 1880, Traduction française, 1950, Paris: Les Éditions sociales, p : 11).

 

Quiconque lit l’Anti-Dühring peut lire, étudier et comprendre la philosophie marxiste à tous égards. Engels lui-même a expliqué pourquoi la tâche de lutter contre Dühring revenait à lui: «En raison de la division du travail qui existait entre Marx et moi, il est devenu ma part de représenter nos points de vue dans la presse périodique - y compris, bien sûr, de lutter contre les opinions hostiles - afin de donner le temps à Marx de travailler sur son livre principal. Et en vertu de cela, j'ai dû présenter nos opinions dans la plupart des cas sous la forme d'un argument et confronter d'autres opinions avec elles » (Marx & Engels Collected Works Volume 25, p : xiii)

Marx était un co-auteur direct de l’Anti-Dühring, où il a aidé Engels à rassembler le matériel nécessaire, a lu l'intégralité du manuscrit et a personnellement écrit le chapitre consacré à la critique des vues de Dühring sur l'histoire de l'économie politique. Et c'est précisément pourquoi le livre "Anti-Dühring" du début à la fin exprime la vision d'Engels et de Marx ensemble.

Plus tard, Engels a révisé trois chapitres d’Anti-Dühring et les a publiés dans une brochure séparée intitulée "Socialisme utopique et socialisme scientifique". Cette brochure, qui devienne une «introduction au socialisme scientifique », a été traduite depuis qu'Engels était vivant dans toutes les principales langues européennes, devenant ainsi le contenu intellectuel d'Anti-Dühring, à la portée des masses les plus larges.

A cette époque, la publication de l’Anti-Dühring a provoqué une fureur dans le camp des ennemis du marxisme. En 1877, les adeptes de Dühring ont appelé la conférence du Parti Social-Démocrate Allemand d'arrêter la publication de ce livre, et en 1878, il a été interdit en Allemagne après la publication de la loi d'urgence contre les socialistes. Mais, malgré tous les obstacles, le livre d’Engels a rempli sa grande mission historique. Elle a contribué à la victoire théorique du marxisme dans le mouvement ouvrier.

Le livre a conservé son importance immuable en tant que trésor inépuisable de la théorie marxiste et arme intellectuelle contre les ennemis du marxisme contemporain - les différents types de révisionnisme, d'éclecticisme et de pseudo-socialisme, qui jaillissent de positions telles que celles détruites par Engels.

Dans la préface des trois éditions d’Anti-Dühring page 15, Engels a a rappelé que M. Dühring “ créateur de système ” n'est pas un phénomène isolé dans l'Allemagne d'aujourd'hui. Depuis quelque temps, les systèmes de cosmogonie, de philosophie de la nature en général, de politique, d'économie, etc., poussent en Allemagne par douzaines, en une nuit, comme des champignons. Le moindre docteur en philosophie, voire le moindre étudiant, ne se tient plus quitte aujourd'hui à moins d'un “ système ” complet. De même que dans l'État moderne on suppose que chaque citoyen est mûr pour porter un jugement sur toutes les questions sur lesquelles il est appelé à voter, de même qu'en économie on admet que chaque consommateur est un parfait connaisseur de toutes les marchandises qu'il est amené à acheter pour sa subsistance, - la même hypothèse doit prévaloir désormais dans la science.

Ainsi, la liberté de la science, cela signifie que l'on écrit sur tout ce que l'on n'a pas appris et que l'on fait passer cela pour la seule méthode rigoureusement scientifique. Quant à M. Dühring, il est un des types les plus représentatifs de cette pseudo -science tapageuse qui, dans l'Allemagne d'aujourd'hui, se pousse partout au premier plan et couvre tout du fracas de sa... camelote extra. Camelote extra en poésie, en philosophie, en politique, en économie, en histoire, camelote extra dans la chaire professorale et à la tribune, camelote extra partout, camelote extra qui a des prétentions à la supériorité et à la profondeur de pensée, à la différence de la camelote banale et platement vulgaire d'autres nations, camelote extra qui est le produit le plus caractéristique et le plus massif de l'industrie intellectuelle de l'Allemagne, bon marché mais de mauvaise qualité, exactement comme d'autres fabrications allemandes à côté desquelles elle n'était malheureusement pas représentée à l'exposition de Philadelphie. Même le socialisme allemand donne à force depuis peu, particulièrement depuis le bon exemple offert par M. Dühring, dans la camelote extra, et met en avant tel et tel qui fait étalage d'une “science” dont il “ n'a réellement pas appris un traître mot. Nous sommes confrontés ici à une maladie infantile, qui marque le début de la conversion de l'étudiant allemand à la social-démocratie et qui en est inséparable, mais dont on triomphera vite grâce au tempérament remarquablement sain de nos ouvriers.

Engels a décrit Dühring plus tard dans la même introduction comme étant caractérisé par  l’arrogance de l’ignorance. Dans ses remarques générales dans l’introduction (page21) de son livre, Engels indique que: Par son contenu, le socialisme moderne est, avant tout, le produit de la prise de conscience, d'une part, des oppositions de classes qui règnent dans la société moderne entre possédants et non-possédants, salariés et bourgeois, d'autre part, de l'anarchie qui règne dans la production. Mais, par sa forme théorique, il apparaît au début comme une continuation plus développée et qui se veut plus conséquente, des principes établis par les grands philosophes des lumières dans la France du XVIII° siècle. Comme toute théorie nouvelle, il a dû d'abord se rattacher au fonds d'idées préexistant, si profondément que ses racines plongent dans les faits économiques..

Il ajoute en page 22: Lorsque nous soumettons à l'examen de la pensée la nature ou l'histoire humaine ou notre propre activité mentale, ce qui s'offre d'abord à nous, c'est le tableau d'un enchevêtrement infini de relations et d'actions réciproques, où rien ne reste ce qu'il était, là où il était et comme il était, mais où tout se meut, change, devient et périt. Nous voyons donc d'abord le tableau d'ensemble dans lequel les détails s'effacent encore plus ou moins; nous prêtons plus d'attention au mouvement, aux passages de l'un à l'autre, aux enchaînements qu'à ce qui se meut, passe et s'enchaîne. Cette manière primitive, naïve, mais correcte quant au fond, d'envisager le monde est celle des philosophes grecs de l'antiquité, et le premier à la formuler clairement fut Héraclite : Tout est et n'est pas, car tout est fluent, tout est sans cesse en train de se transformer, de devenir et de périr. Mais cette manière de voir, si correctement qu'elle saisisse le caractère général du tableau que présente l'ensemble des phénomènes, ne suffit pourtant pas à expliquer les détails dont ce tableau d'ensemble se compose; et tant que nous ne sommes pas capables de les expliquer, nous n'avons pas non plus une idée nette du tableau d'ensemble. Pour reconnaître ces détails, nous sommes obligés de les détacher de leur enchaînement naturel ou historique et de les étudier individuellement dans leurs qualités, leurs causes et leurs effets particuliers, etc.. 

En cela, surtout, se limite la tâche de la science de la nature et de la recherche historique, branches d'investigation qui, pour d'excellentes raisons, ne prenaient chez les Grecs de la période classique qu'une place subordonnée puisque les Grecs avaient auparavant à rassembler les matériaux. Il faut d'abord avoir réuni, jusqu'à un certain point, des données naturelles et historiques pour pouvoir passer au dépouillement critique, à la comparaison ou à la division en classes, ordres et genres. Les rudiments de la science exacte de la nature ne sont développés que par les Grecs de la période alexandrine, (le stade d'Alexandrie du développement de la science remonte à la période allant du IIIe siècle avant JC au VIIe siècle après JC, et on l'appelait la ville d'Alexandrie, qui était l'un des plus grands centres de relations économiques internationales à cette époque).

A l'époque d'Alexandrie, de nombreuses sciences se sont largement développées: les mathématiques et la mécanique (Euclide et Archimède, géographie, astronomie, anatomie, philosophie, etc.) puis au Moyen Âge chez les Arabes, et les vraies sciences naturelles n'ont commencé qu'après la seconde moitié du XVe siècle, date depuis laquelle elle a progressé à une vitesse sans cesse croissante.

Après qu'Engels traite le développement de la science et de l'analyse de la nature au Moyen Âge et analyse la proposition et la pensée métaphysique, il arrive à la conclusion que seule la pensée dialectique et se caractérise par le fait qu'elle traite des choses ainsi que leurs réflexions intellectuelles dans leurs relations mutuelles, leur entrelacement, leur mouvement, leur émergence et leur disparition, l'exemple des procédés susmentionnés ne font que confirmer sa méthode de recherche, et considèrent la nature comme une illustration concrète de dialectique.

Ainsi, Engels ajoute (page 23) qu’une représentation exacte de l'univers, de son évolution et de celle de l'humanité, ainsi que du reflet de cette évolution dans le cerveau des hommes, ne peut donc se faire que par voie dialectique, en tenant constamment compte des actions réciproques universelles du devenir et du finir, des changements progressifs et régressifs. Et c'est dans ce sens que s'est immédiatement affirmée la philosophie allemande moderne. Kant a commencé sa carrière en résolvant le système solaire stable de Newton et sa durée éternelle - une fois donné le fameux choc initial - en un processus historique : la naissance du soleil et de toutes les planètes à partir d'une masse nébuleuse en rotation. Et il en tirait déjà cette conclusion qu'étant donné qu'il était né, le système solaire devait nécessairement mourir un jour. Cette vue, un demi-siècle plus tard, a été confirmée mathématiquement par Laplace et, un siècle après, le spectroscope a démontré l'existence dans l'univers de semblables masses gazeuses incandescentes à différents degrés de condensation.

Cette philosophie allemande moderne a trouvé sa conclusion dans le système de Hegel, dans lequel, pour la première fois - et c'est son grand mérite - le monde entier de la nature, de l'histoire et de l'esprit était représenté comme un processus, c'est-à-dire comme étant engagé dans un mouvement, un changement, une transformation et une évolution constants, et où l'on tentait de démontrer l'enchaînement interne de ce mouvement et de cette évolution. De ce point de vue, l'histoire de l'humanité n'apparaissait plus comme un enchevêtrement chaotique de violences absurdes, toutes également condamnables devant le tribunal de la raison philosophique arrivée à maturité et qu'il est préférable d'oublier aussi rapidement que possible, mais comme le processus évolutif de l'humanité lui-même; et la pensée avait maintenant pour tâche d'en suivre la lente marche progressive à travers tous ses détours et de démontrer en elle, à travers toutes les contingences apparentes, la présence de lois.

Engels conclue que « Hegel n'ait pas résolu ce problème, cela importe peu ici. Son mérite, qui fait époque, est de l'avoir posé. Ce problème est précisément de ceux qu'aucun individu à lui seul ne pourra jamais résoudre. Bien que Hegel fût - avec Saint-Simon - la tête la plus encyclopédique de son temps, il était tout de même limité, d'abord par l'étendue nécessairement restreinte de ses propres connaissances, ensuite par l'étendue et la profondeur également restreintes des connaissances et des vues de son époque. Mais il faut tenir compte encore d'une troisième circonstance. Hegel était idéaliste, ce qui veut dire qu'au lieu de considérer les idées de son esprit comme les reflets plus ou moins abstraits des choses et des processus réels, il considérait à l'inverse les objets et leur développement comme de simples copies réalisées de l' “Idée” existant on ne sait où dès avant le monde. De ce fait, tout était mis sur la tête et l'enchaînement réel du monde entièrement inversé. Et bien que Hegel eût appréhendé mainte relation particulière avec tant de justesse et de génie, les raisons indiquées rendaient inévitable que le détail aussi tourne souvent au ravaudage, à l'artifice, à la construction, bref, à la perversion du vrai. Le système de Hegel comme tel a été un colossal avortement - bien que le dernier du genre. En effet, ne souffrait-il pas toujours d'une contradiction interne incurable ? D'une part, son postulat essentiel était la conception historique selon laquelle l'histoire de l'humanité est un processus évolutif qui, par nature, ne peut trouver sa conclusion intellectuelle dans la découverte d'une prétendue vérité absolue; mais, d'autre part, il prétend être précisément la somme de cette vérité absolue. Un système de connaissance de la nature et de l'histoire embrassant tout et arrêté une fois pour toutes est en contradiction avec les lois fondamentales de la pensée dialectique; ce qui toutefois n'exclut nullement, mais implique, au contraire, que la connaissance systématique de l'ensemble du monde extérieur puisse marcher à pas de géant de génération en génération. "(ibid. p :23)

En guise de conclusion :

Dans un commentaire sur la polémique scientifique que le camarade Friedrich Engels employait souvent dans ces débats, ainsi que, dans ses livres notamment Anti-Dühring, le camarade Stefan Engel, fondateur et ancien président du Parti Marxiste-Léniniste Allemand (MLPD) et ancien coordinateur principal d’ICOR, a précisait en 2019 que :

« La polémique scientifique met à nu la tromperie bourgeoise sur l'amortissement de la lutte des classes. ...La polémique scientifique doit traiter en détail les déclarations opposées, les réfuter point par point, puis passer à l'offensive et mener une contre-attaque décisive. C'est là que la polémique scientifique se distingue des commentaires souvent pitoyables des faiseurs d'opinion petits-bourgeois et bourgeois, … »

Sources des extrait d’Anti-Dühring : le livre reproduit en version numérique par Jean-Marie Tremblay, professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi (sociologue@videotron.ca) . Une collection développée en collaboration avec la Bibliothèque Paul-Émile-Boulet de l'Université du Québec à Chicoutimi (site internet :

http://www.uqac.uquebec.ca/zone30/Classiques_des_sciences_sociales/index.html)

 

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